L’Ikigai : de la sagesse d’Okinawa, jusques à vous et moi
L’ikigai (生き甲斐, formé de 生き (iki), « vie », et de 甲 (kai), « qui vaut la peine ») trouverait ses racines les plus profondes sur l’île d’Okinawa, au large du Japon.Le mot ikigai remonterait à l’époque Heian (794–1185), considérée comme un âge d’or culturel japonais.
Les habitants d’Okinawa sont connus mondialement pour leur espérance de vie élevée : avec une moyenne globale de 87 ans à la naissance, et le plus grand nombre de super centenaires de plus 110 ans. Cette extraordinaire longévité ne relève sans doute pas du hasard : elle s’enracine dans une philosophie de vie particulière, un véritable art de vivre où l’ikigai occupe une place particulière.
A Okinawa, comme dans ses racines historiques, à l’âge classique du Japon impérial, l’ikigai, s’exprime dans une forme implicite, à travers une idéologie esthétique et spirituelle, où se trouve valorisé la recherche d’un sens personnel, non utilitaire, à la vie.
Akihiro Hasegawa, professeur de psychologie clinique à l’université Toyo Eiwa au Japon, est l’un des premiers chercheurs contemporains à avoir formalisé l’ikigai comme concept psychologique dans les années 2000.
Dans ses travaux, il distingue clairement l’ikigai originel japonais d’une vision occidentale influencée par la recherche de productivité et de sens au travail. Pour Hasegawa, l’ikigai est un sentiment de satisfaction quotidienne, enraciné dans de petites routines personnelles, loin de tout impératif d’efficacité économique
L’introduction du concept d’ikigai dans le monde occidental, s’est faite, selon cet auteur, au prix d’un détournement profond de sa signification originelle. Traditionnellement enraciné dans une philosophie japonaise intime, subtile et existentielle, l’ikigai renvoie à une quête de sens personnelle, souvent silencieuse et non nécessairement productive.
Or, dans sa transposition occidentale, il a été instrumentalisé par l’économie du bien-être, le développement personnel et les discours managériaux, réduisant ce concept à un outil de performance ou d’optimisation individuelle.
Utilisé dans l’entrepreneuriat ou les ressources humaines, l’ikigai devient un schéma de rentabilité émotionnelle, pressant l’individu à aligner passion, compétence et marché, au détriment de la profondeur contemplative qui fondait son sens initial.
Aux sources d’un concept simple et puissant
Dans sa conception originelle okinawaïenne, l’ikigai désigne, en apparence assez prosaïque, « ce qui donne envie de se lever le matin ». Ce qui motive « l’intérêt de vivre la journée à venir » et qui « apporte sens à chaque jour qui vient », à la présence – ici et maintenant- de chacun.
C’est une définition très simple de l’ikigai mais également un levier très puissant et très concret, apporté à chaque être qui en ferait sienne la philosophie particulière.
Si certains auteurs, tels que Nicholas Kemp remettent en question l’origine okinawaïenne du concept de l’Ikigai, il est certain que les représentations de cette île, considérée, comme une « zone bleue » aux yeux des Occidentaux, et de son rapport attentionné aux petites choses de la vie quotidienne, à la notion de joie de vivre aussi, ont contribué à la légende de l’Ikigai, en dehors du Japon.
Pour une certaine part des habitants d’Okinawa, dont la culture quotidienne est teintée d’intention, voire de spiritualité, tout ce qui est vécu chaque jour, dans le temps de l’être qui survient, doit en effet être lié/ sinon porté, par un sens profond.
De l’Ikigai nippon à l’Ikigai intime: une exploration
L’ikigai est, en partie, cette intention, cette attention à soi et au monde, qui donne du sens au moment présent et rend heureux.Seul face à soi-même et en relation avec la communauté immédiate, la famille, les voisins, mais également plus largement, avec l’ensemble du monde vivant.
C’est comme une faculté personnelle et collective, anthropologique, socialement admise (évoquée entre proches ou moins proches), circulante, et qui ne se limite pas à une activité annexe, détachée de la course des jours, ou à une passion particulière permettant de s’évader du quotidien. L’Ikigai n’est pas réductible à un simple hobby ou une inclinaison marquée pour un sujet, un domaine, une mission. Ce n’est pas une simple passion mais une interface de conscience qui permet de s’incarner chaque jour avec saveur. C’est un réflexe ontologique et émotionnel qui met en mouvement la personne, et une façon d’exister, d’être au monde. C’est une façon de vivre sa vie qui englobe une approche holistique de l’existence ; où chaque moment, chaque geste en apparence banal, trouve son sens et, voire, nourrit la perception existentielle, sur un plan immédiat mais aussi dans un dessein bien plus larges.
Et c’est ce que nous essaierons d’explorer au sein de ce site, en reliant cette approche culturelle et sociale nippone, avec un parcours – qui quoique bien éloigné géographiquement d’Okinawa, est empreint de manière intime et concrète de l’ikigai nippon.
De l’Ikigai face au cancer : le cheminement d’une survivante improbable
Ce parcours, c’est le mien, celui d’une improbable survivante, ayant été diagnostiquée, il y a un peu plus de 5 ans, d’un cancer rare et grave, agressif, et même disons le simplement : en stade terminal. Au moment, où j’écris ces lignes, en juin 2025, l’ikigai a fait partie des conditions de ma survie, et de ma vie tout court : de mon chemin vers la rémission. Qui, un jour, sera, je l’espère, déclarée comme « guérison ». De ce chemin, je voudrais objectiver les éléments qui pourraient aujourd’hui servir à d’autres, pour accueillir la vie, traverser les épreuves, et découvrir un sens qui serait le leur via le truchement d’outils issus de l’expérience, de l’analyse et du partage.Aux pires moments de cette traversée de la vallée de la mort, que furent les premières années de ma lutte contre le cancer, la fertilité de l’ikigai et la volonté de ne jamais perdre de vue mes projets, ont été deux piliers essentiels de ma résilience, et de mon combat pour la vie. C’est ainsi, qu’il m’est apparu comme naturel de donner à ce site, les fondations essentielles que ces deux mots revêtent : l’ikigai et le projet.
Le nom du site est en anglais, car, à terme, ce petit laboratoire de l’expérience humaine, sera également disponible en cette langue, avec l’envie de partager son ambition au-delà des seules frontières du monde francophone où je suis née et ai vécu.
Cet article inaugure une série d’explorations autour de l’ikigai et de ses applications dans différents contextes de vie, de la santé au développement personnel, en passant par la résilience et la transformation.